Coup de fatigue pour Emmanuel Macron : les démocraties sont-elles devenues les bourreaux de leurs dirigeants ?



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Atlantico : L’Elysée a annoncé qu’Emmanuel Macron allait prendre un peu de repos. Il y a certainement des explications à cette fatigue mais au-delà de ce cas particulier, ne pouvons-nous pas constater que l’on impose à nos Présidents une sorte de “souffrance” au travail ?

 

Samuel Pruvot : Cette « souffrance » des Présidents est consentie. Elle a même été envisagée mille fois avant que d’être vécue. Le pouvoir abime par définition celui qui l’exerce. Mais pour une fois, n’allons pas trop vite et arrêtons-nous quelques instants sur cette « fatigue » du Président. Si Emmanuel Macron avait voulu paraître un « président normal », il n’aurait pas fait mieux que de donner une publicité à ces vacances forcées. Notre président a beau être jeune, hyper doué et insomniaque, il n’est pas pour autant un super héros !

Il a besoin de repos comme tous les simples mortels. Même le Dieu créateur fait une pause dans le livre de la Genèse. Le puissant Jupiter est aujourd’hui obligé de laisser reposer quelques jours l’éclair lancé par son foudre. Cela dit, tout est politique chez Emmanuel Macron y compris la mise en scène de sa fatigue. La santé du prince vaut bien un Conseil des ministres.   

 

Leur poste est aujourd’hui exposé à des injonctions paradoxales, avec par exemple d’un côté une perte de pouvoir du politique face à des acteurs non-publiques très puissants avec lesquels ils doivent négocier (marchés financiers, multinationales, institutions multilatérales, GAFAM etc.) et de l’autre une importante attente (sans y croire pour autant) de la part de la population ?

 

Samuel Pruvot : Emmanuel Macron n’a jamais été dupe de ces injonctions contradictoires. Il connaissait par avance le mal. Il a d’ailleurs consacré en 2011 un article à ce sujet – les « Labyrinthes du pouvoir » – dans la revue Esprit. L’auteur médite sur un paradoxe français… La présidentielle cannibalise toute l’énergie politique dans l’effort de conquête. Et ensuite elle laisse le Président vainqueur quasi impuissant. Le nouvel élu semble en effet condamné à la guerre des tranchées, toujours oppressé par les offensives de l’actualité qui lui dictent des urgences à l’infini. Emmanuel Macron écrit : « Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. » L’élection de Macron n’a pas fait de miracle. Les problèmes de la France restent les mêmes voire s’aggravent. Dans cet article, il ajoute avec pertinence que le temps court et le temps long se font la guerre aux dépens du pouvoir en place. « Depuis une vingtaine d’années s’est progressivement créé un hiatus entre l’émergence des problèmes de long terme, complexes, structurels, parfois mondiaux, et des urgences économiques, sociales, démocratiques dont le non-traitement immédiat est perçu comme insupportable par les opinions publiques. » Avant même son élection, Emmanuel Macron est conscient de devoir piloter un Titanic à deux vitesses. Avec l’ambition démesurée de renverser la vapeur en faveur du politique comme un conquérant des âges anciens rhabillé avec un costume post-moderne.   

 

 

 

Le Washington Post expliquait récemment que l’agenda du Président Trump était très peu structuré, avec de très importantes plages horaires laissées vides pour permettre de s’adapter aux évolutions de la situation. Ce genre d’instabilité de l’exercice du pouvoir, fonctionnant à flux tendus, n’est-il pas opposé à une certaine idée de la stabilité du pouvoir, qui s’appuie notamment sur une certaine idée de l’ordre ? Cela ne favorise-t-il pas une pratique plus “populiste” – et souvent personnalisée – de l’exercice du pouvoir politique ?

 

Samuel Pruvot : Emmanuel Macron a la nostalgie du temps long. Non seulement il est persuadé que l’histoire de France a commencé avant 1789 mais en plus il garde de son maître Ricœur l’idée que le travail de mémoire est plus important que tout. La mémoire d’un peuple est pareille à un socle géologique multiséculaire qui résiste aux bourrasques alors que le sable de l’actualité est emporté par le vent chaque jour. Emmanuel Macron rêve d’une France insérée dans la grande Histoire. C’est pourquoi il va entreprendre cette « itinérance mémorielle » inédite sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Il voudrait montrer par-là que le temps présidentiel se compte en siècles et non en heures.

 

La tâche est ardue car sa mauvaise popularité risque de rendre inaudible sa démarche. Ses conseillers ont l’intelligence de vouloir relier les souffrances du pbadé à celles du présent. Ces régions rurales dévastées jadis par la Grande Guerre sont aujourd’hui démolies par les effets de la mondialisation. On voit le message derrière… Le Président doit verbaliser ces souffrances de 2018 et compatir avec ses concitoyens. Cbader cette image d’un dirigeant de startup qui a grandi à l’ombre des métropoles et des grandes écoles. Macron veut faire peuple. Son populisme à lui s’enracine dans l’Histoire au lieu de vouloir la balayer. Il a même l’illusion de pouvoir redonner à l’Europe – malgré la faiblesse politique de son partenaire allemand – un souffle qu’elle semble avoir perdu. 



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