En France, sus au soja et à l’huile de palme



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Avec plusieurs mois de retard, le gouvernement adopte ce mercredi sa Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI). Annoncée par Nicolas Hulot lors de la présentation du «plan climat» en juillet 2017 et initialement promise pour mars 2018, celle-ci vise officiellement à «mettre fin d’ici 2030 à la déforestation causée par l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables», notamment l’huile de palme d’Asie du Sud-Est, le soja OGM d’Amérique latine destiné à nourrir nos animaux d’élevage, ou le cacao d’Afrique. Tout sauf anecdotique : entre 1990 et 2015, la superficie forestière mondiale a été réduite de 129 millions d’hectares, soit deux fois la superficie de la France. Cette déforestation est responsable d’environ 11% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), en plus d’avoir des conséquences désastreuses sur la biodiversité. Et selon les calculs de l’ONG Envol Vert publiés la semaine dernière, les habitudes de consommation des Français (viande, œufs, cuir, agrocarburants, cacao, hévéa…) entraînent chaque année une déforestation mbadive, équivalente à un territoire grand comme la Bretagne.

Mesures non contraignantes

«Cette décision [d’adopter une SNDI] est très importante, car nous allons fermer une fenêtre qui donnait la possibilité d’incorporer de l’huile de palme dans les biocarburants», avait insisté l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire en juillet 2017. Possibilité allègrement utilisée : plus de 75% des 900 000 tonnes d’huile de palme consommée en France servent aujourd’hui à faire rouler les véhicules, et seul le reste entre dans la composition de pâtes à tartiner, biscuits ou cosmétiques. Cette fenêtre se refermera-t-elle avec cette SNDI ? Rien n’est moins sûr.

D’abord parce que la plupart des 17 mesures du plan publié ce mercredi ne sont qu’incitatives et non contraignantes. L’objectif affiché est d’amener chaque acteur (pays producteurs, entreprises, investisseurs, consommateurs) à modifier ses comportements pour diminuer ses impacts sur la forêt. Dans un premier temps, sont visées les matières agricoles qui contribuent le plus à la déforestation importée (soja, huile de palme, bœuf et ses coproduits, cacao, hévéa, bois et produits dérivés), mais d’autres produits pourront s’y ajouter dans le cadre des futures révisions de la SNDI (maïs, colza, crevettes, coton, café, canne à sucre, produits miniers…).

Comment l’Etat compte-t-il inciter tous ces acteurs à se détourner de ces matières premières ? En utilisant le levier de l’aide au développement : l’Agence française de développement (AFD) consacrera 60 millions d’euros par an à «des projets concourant à la gestion durable, à la lutte contre la déforestation et au reboisement» dans les pays exportateurs. En créant une «plateforme nationale de lutte contre la déforestation réunissant entreprises, ONG et pouvoirs publics», qui aura notamment pour mission d’élaborer «un nouveau label “zéro déforestation” pour aider les consommateurs dans leurs choix».

Huile de palme dans nos moteurs

L’Etat fera aussi la «promotion des alternatives à l’importation de protéines végétales [essentiellement le soja, ndlr] potentiellement issues de la déforestation» et entend montrer l’exemple en se dotant d’une politique d’achats publics «zéro déforestation» à l’horizon 2022, par exemple dans les cantines des ministères. Pour Clément Sénéchal, chargé de campagne Climat et Forêts à Greenpeace, le compte n’y est pas : la SNDI «repose uniquement sur le bon vouloir des acteurs privés, alors que ceux qui ont pris des engagements “zéro déforestation” ont été jusqu’à présent incapables de les tenir, et ne seront pas en mesure de mettre un terme à la déforestation dont ils sont complices d’ici à 2020. Elle met en avant le rôle des certifications, alors que celles-ci ont été parfaitement inopérantes et inefficaces jusqu’à présent».

C’est le cas, notamment, pour l’huile de palme, dont 51% des importations européennes ont été brûlées en 2017 dans les moteurs des voitures ou camions. La certification RSPO («Table ronde pour une huile de palme durable») n’interdit pas la destruction des forêts sur sols tourbeux ou de celles dites «secondaires», pointent les ONG. Or l’utilisation d’huile de palme certifiée «durable» est précisément l’argument mis en avant par le gouvernement pour justifier le feu vert accordé en mai à la «bioraffinerie» de Total, à La Mède (Bouches-du-Rhône), qui carbure à l’huile de palme pour produire 500 000 tonnes par an de biodiesel.

Surtout, le vrai problème est ailleurs. «Même certifiée, la quantité mbadive d’huile de palme qui sera transformée en agrocarburants aura un effet domino : il faudra déforester de nouvelles surfaces pour continuer à satisfaire la demande mondiale en huile de palme alimentaire», expliquait en mai l’économiste Alain Karsenty, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Un phénomène reconnu par la Commission européenne sous l’appellation «changement d’affectation des sols indirect» (Casi), et dont le chercheur souhaite l’intégration dans le calcul du bilan carbone des agrocarburants. Si c’était le cas, «ceux à base d’huile de palme présenteraient le pire bilan carbone du marché», avec ceux à base de soja.

«Total trompe son monde en prétendant qu’il n’utilisera que de l’huile de palme durable, puisque son arrivée sur le marché provoquera forcément un “effet Casi”, abonde Clément Sénéchal. D’ailleurs, jusqu’à présent, ni Total ni le gouvernement ne sont transparents sur les futures fournisseurs de Total. C’est pourtant la base pour les entreprises qui s’engagent sur de l’huile de palme durable. Bref, il n’y a pas d’agrocarburant de première génération durable, c’est de l’enfumage.»

«Contradictions»

Le chargé de campagne de Greenpeace n’est pas plus convaincu de la disposition de la SNDI selon laquelle, au sujet des agrocarburants, «conformément à la nouvelle directive sur les énergies renouvelables, la France plafonnera l’incorporation des biocarburants issus des matières premières ayant un fort risque d’impact indirect sur la déforestation, selon les critères qui seront définis par la Commission européenne en février 2019, jusqu’à leur élimination complète en 2030». Or rien ne dit que la Commission – soumise comme la France à des pressions, notamment des pays producteurs d’huile de palme que sont la Malaisie et l’Indonésie –, adoptera des critères très contraignants en la matière.

Pour Clément Sénéchal, au sujet de ces agrocarburants de première génération (obtenus à partir de cultures alimentaires), le gouvernement «prétend coller à la nouvelle directive européenne sur les énergies renouvelables, qui prévoit de sortir des agrocarburants nocifs d’ici 2023, en omettant le fait qu’elle donne désormais aux Etats-membres la possibilité d’en finir unilatéralement avec cette technologie industrielle extrêmement nocive pour le climat. Si le gouvernement était sincère, il cesserait dès maintenant de soutenir fiscalement les agrocarburants de première génération et interdirait la production de diesel à l’huile de palme, comme pour la raffinerie de Total à La Mède». Au lieu de cela, l’exécutif a demandé en octobre aux députés de maintenir l’exonération fiscale dont bénéficie l’huile de palme dans les carburants… au profit de Total.

Conformément à l’image de «champion de la Terre» qu’Emmanuel Macron entend donner à l’Hexagone sur la scène internationale, le gouvernement insiste sur le fait qu’avec sa SNDI, «première initiative de ce type», «la France souhaite jouer un rôle moteur» en Europe et dans le monde dans la lutte contre la déforestation importée. «Malheureusement, sur ce sujet comme sur les autres, le gouvernement est perclus de contradictions et incapable de faire quoi que ce soit qui puisse nuire aux intérêts des industries qui font partie du problème», tranche Clément Sénéchal. Pour lui, l’autorisation donnée à Total «d’importer 550 000 tonnes par an d’huile de palme à La Mède aura certainement plus d’impact sur les forêts tropicales que cette SNDI. Les bénéfices privés avant l’environnement, business as usual».


Coralie Schaub



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