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La France se bat pour que les 28 Etats membres créént une nouvelle taxe sur les géants du numérique. Louable mais compliqué.
“Si l’Europe se résume à être uniquement un gigantesque supermarché (…) Elle sera écrasée, broyée entre la Chine et les Etats-Unis”. Devant le Parlement européen réuni à Strasbourg, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a multiplié les déclarations alarmistes pour défendre la mise en place d’une nouvelle taxe sur les géants du numériques.
Les Amazon, Google, Facebook et autres Apple, par le jeu de l’optimisation fiscale, ne paient en effet que 9% d’impôts sur les sociétés dans l’Union européenne, contre 23% pour les entreprises clbadiques. L’idée de cette “taxe Gafa” pour rétablir la balance ? Imposer le chiffre d’affaires des sociétés du numérique, et non pas leur profit, difficilement localisable.
En mars dernier, la Commission européenne, aiguillé par la France, a proposé de taxer à hauteur de 3% les revenus issus de la monétisation des données récupérées chez les utilisateurs, à des fins publicitaires. “Quand vous allez sur Google, vous donnez tout un ensemble de données sur vous, ce qui créé de la valeur pour la société américaine, eh bien c’est cette valeur là que nous voulons taxer”, explique-t-on du côté de Bercy. Un nouvel impôt qui ne concernerait que les groupes réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial, afin d’épargner les petites entreprises innovantes qui ont déjà du mal à se faire une place à l’ombre des géants américains.
Une “taxe Gafa” qui a également vocation, dans l’esprit de l’équipe Macron, à servir de cheval de bataille pour les élections européennes de mai prochain, ou LREM espère créer une nouvelle force politique au niveau continental, comme elle y est parvenue en France. “Le sujet est porteur auprès du grand public, cela n’a pas échappé au ministre “, souligne l’eurodéputée PS Pervenche Bérès.
Les 28 Etats membres doivent être d’accord
Le problème, c’est qu’en matière fiscale, il faut avoir l’aval de l’unanimité des 28 Etats membres. Ce qui, aujourd’hui, est loin d’être le cas. Or, la décision doit être prise avant fin décembre. Certes, lorsque la France a lancé à l’été 2017 l’idée de cette réforme, elle semblait bien seule, et a pourtant réussi à rallier depuis une vingtaine de pays. Il n’empêche : un noyau dur d’irréductibles continue de s’y opposer.
“Les pays nordiques (Danemark, Finlande et Suède) sont toujours un peu inquiets lorsqu’il s’agit de faire peser des contraintes supplémentaires sur le marché intérieur, mais ils ne sont pas foncièrement contre la mise en place d’une nouvelle fiscalité pour les géants du numérique”, veut-t-on croire dans l’entourage du ministre de l’Économie français. Même le Luxembourg et les Pays Bas seraient prêts à discuter. Mais l’Irlande est, elle, vent debout contre la proposition. On peut la comprendre : plusieurs géants du numérique y ont installé leur tête de pont européenne. Bruxelles pourrait néanmoins faire pression sur Dublin, via les négociations en cours sur le Brexit, où sa frontière avec l’Irlande du nord est au coeur des enjeux.
L’Allemagne a peur des représailles américaines
Reste l’Allemagne, qui n’a pas clairement dit non, mais qui craint que cette taxe attise la guerre commerciale avec les Etats-Unis, qui pourraient augmenter les taxes sur les automobiles allemandes en guise de mesures de rétorsion. Outre-Rhin, on pense que l’enjeu en vaut d’autant moins la chandelle que la “taxe Gafa” ne devrait rapporter que 5 milliards d’euros par an, à diviser par 28 ! Son ministre des Finances, Olaf Scholz, a donc préféré botter en touche et se prononcer sur un nouvel impôt à l’échelle mondiale, sur lequel travaille l’OCDE depuis des années.
Pour la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, attendre la décision de l’OCDE revient à dire non à la taxation des Gafa. “On ne sait pas quand l’institution aura terminé ses travaux – et je pense que cela ne sera pas à court terme, explique-t-elle à L’Express. Or, il y a une grande urgence, car c’est toute l’économie qui est en voie de digitalisation. Toute cette valeur qui échappe à la taxation, c’est autant d’écoles qui ne sont pas construites.”
Même son de cloche chez Alain Lambadoure, eurodéputé PPE et président de la commission d’enquête du Parlement européen sur l’évasion fiscale : “Tous ceux qui disent qu’il faut attendre les travaux de l’OCDE n’ont en réalité aucune envie de s’emparer du sujet. Regardez les Etats-Unis, ils ont fait leur grand big bang fiscal sans s’occuper de l’OCDE. L’Europe a là une chance de se retrouver en position de force et de montrer qu’elle existe.” Pour soulever les derniers doutes, Bruno Le Maire a d”ailleurs proposé l’introduction d’une “clause de caducité” dans le texte : le jour où un impôt mondial sera mis en place, il prendra automatiquement la place de l’imposition européenne.
Les initiatives nationales semblent vouées à l’échec
Si les 28 Etats membres n’arrivaient pas à s’entendre, il resterait toujours la possibilité de pbader par la procédure dite de coopération renforcée. Une procédure permettant d’avancer sur un sujet avec un groupe réduit de pays (11 minimum). “C’est ce que la France et l’Allemagne ont fait sur le sujet sensible de la taxe sur les transactions financières, et cela a échoué lamentablement, car au fil des mois et des discussions, le groupe de pays s’est réduit comme peau de chagrin”, rappelle un conseiller de Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières.
Surtout, il semble difficile d’imaginer une procédure de coordination renforcée sans l’Allemagne. Quant aux initiatives nationales, à l’instar de l’Espagne ou de l’Italie qui ont budgété de nouvelles taxes sur les entreprises numériques, elles semblent difficilement tenables sur le long terme. “Il y a quelques années, l’Espagne et l’Allemagne avaient mis en places des taxes sur les droits d’auteurs en ligne, avant de reculer sous la pressions des Gafa”, rappelle Pervenche Berès.
A moins d’une volte-face de dernière minute de l’Irlande et de l’Allemagne, la “taxe Gafa” risque donc de ne jamais voir le jour. Une bonne chose selon Alain Lambadoure. “Les Gafa sont dans une telle situation de position dominante qu’ils sont tout à fait en mesure de transférer la charge de l’impôt sur leurs clients. En plus, cela fait fi des travaux du Parlement sur l’badiette fiscale consolidée, sur laquelle nous travaillons depuis deux ans. Je regrette que l’Allemagne et la France ne veuillent pas s’emparer de ce vrai sujet.” Ce qui est sûr , c’est que la culture européenne du consensus fait au moins un grand gagnant : les géants du numérique, qui continuent pendant ce temps d’engranger les bénéfices.
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