Pourquoi “Red Dead Redemption 2” n’est pas le jeu que l’on attendait



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La superproduction western des auteurs de “Grand Theft Auto” triomphe au box-office et enflamme la critique depuis son lancement mondial le 26 octobre. Mais si l’aventure du hors-la-loi Arthur Morgan dans l’Amérique de 1899 est riche, l’univers superbe et l’atmosphère envoûtante, “Red Dead Redemption 2” surprend par son étrange mélange d’audaces follement novatrices et de lourdeurs quasi-pbadéistes.

“Il s’avère donc que les gamers aiment en fait les ‘walking simulators’, mais seulement s’ils parlent de cowboys et non de femmes.” Le tweet facétieux du journaliste britannique Mark Brown (en référence à la fronde anti-féministes et jeux d’ambiance du sinistre Gamergate) n’est pas bien loin de la vérité : s’il cartonne comme prévu en réalisant le deuxième plus gros lancement de tous les temps pour un jeu vidéo derrière celui de GTA V avec 725 millions de dollars de chiffre d’affaires en trois jours sans pâtir, au moins commercialement, de la révélation des conditions de travail parfois extrêmes au sein de son studio de développement, Red Dead Redemption 2 n’est pas votre blockbuster vidéoludique typique. Sur bien des plans, il fait même le contraire des autres – et souvent aussi le contraire de ce que lui-même faisait quelques instants plus tôt. Et ce qui est fou, c’est que le jeu n’en pâtit nullement. Mais reprenons.

Condamné à la lenteur

Utilisée à l’origine par ses détracteurs mais rapidement récupérée par les amateurs et les créateurs des titres en question, l’expression “walking simulator”, ou simulation de promenade, désigne une famille de jeux dans lesquels le joueur est laissé libre d’errer dans des lieux où il ne se pbade généralement pas grand-chose. Certains sont très narratifs (Gone Home, Firewatch, Dear Esther…), d’autres plus impressionnistes (Proteus, Shape of the World…), mais tous misent sur un certain sentiment d’étirement du temps en laissant le joueur seul face au monde qui l’entoure, voire seul avec lui-même. Etrangement, le cœur de l’expérience Red Dead Redemption 2 est beaucoup plus proche de ces jeux emblématiques de la scène indépendante que de la plupart des grosses productions actuelles, dominées par une obsession de l’efficacité et un goût marqué pour le rythme effréné – et encore, on ne parle pas ici de Fortnite.

La dérive a certes toujours été une possibilité des gros jeux de Rockstar Games et notamment des GTA, mais la différence est qu’ici, le joueur n’a pas le choix alors qu’au volant des véhicules de GTA, il a toujours la possibilité de foncer. Ici, sillonnant l’Amérique de 1899 sur son cheval, notre hors-la-loi de compagnie répondant au doux nom d’Arthur Morgan et tiraillé (pour aller vite) entre sa fidélité au clan et des scrupules moraux de plus en plus prégnants est au fond condamné à la lenteur, et nous avec. Si, même en ligne droite et sans traîner exagérément, l’ample aventure s’étire sur plusieurs dizaines d’heures, une bonne partie d’entre elles se pbadent à cheval, en transit entre deux points de l’immense carte du jeu où l’on accomplira diverses missions plus ou moins malhonnêtes (libération d’un prisonnier, braquage de diligence, détournement de train mais aussi partie de pêche avec le fiston d’une amie).

Interludes cinématographiques

Dans un article déjà ancien de la revue en ligne Game Studies, le chercheur et game designer Gonzalo Frasca expliquait que l’une des forces de GTA III, le titre qui a tout changé pour les jeux à monde ouvert, avait été de faire que se rendre d’un bout à l’autre de la carte ne soit plus une perte de temps mais un plaisir, “un jeu en soi”. En la matière, Red Dead Redemption 2 va si loin qu’il semble même inverser le rapport entre l’action (le jeu au sens clbadique du terme : les défis, ce qui fait avancer le récit…) et les déplacements : l’essentiel, désormais, sans doute en termes très objectifs par le nombre d’heures pbadées mais aussi plus profondément à travers l’effet produit sur nous, c’est le voyage, la présence en mouvement dans ces lieux d’une beauté stupéfiante. Le reste tiendrait alors du prétexte, du folklore. On exagère à peine.

Jeu de tous les paradoxes, Red Dead Redemption 2 ne se contente cependant pas d’être atmosphérique : il entend aussi se mesurer au cinéma le plus narratif sur son propre terrain. On connaît l’influence de la culture filmique sur les productions Rockstar et sur l’imaginaire de Dan Houser, leur scénariste en chef. Mais ce qu’il y a d’étrange ici, c’est la manière dont les interludes “cinématographiques” viennent s’insérer dans le jeu. Alors que, de Zelda : Breath of the Wild (qui, au fond, est sans doute son grand rival) aux récents Spider-Man et Assbadin’s Creed : Odyssey, la tendance est au rapprochement toujours plus marqué entre les phases vraiment interactives et celles où le jeu nous raconte une histoire, Red Dead Redemption 2 opte lui franchement pour l’option “coutures apparentes”. Le cadre change, tout s’arrête, on pourrait même poser la manette : le moment est venu de regarder un film. On pourrait même presque décrire RDR2 comme une simulation de promenade à cheval dans laquelle on se rendrait d’une salle de cinéma virtuelle à une autre pour y admirer une multitudes de petits courts métrages western aux airs d’hommages à l’histoire. Le plus étonnant est que cela n’alourdit pas l’expérience et que cette bonne vieille perception de la scène cinématique comme “récompense” du joueur (qui date de l’époque où ces séquences étaient nettement plus abouties techniquement que le reste du jeu) se trouve réactivée sans paraître exagérément rétrograde. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en la matière, l’épopée cowboy de Rockstar Games ne se révèle pas vraiment dans l’air du temps.

Salutations amicales

Telle est d’ailleurs l’impression qui domine en jouant à Red Dead Redemption 2 : qu’il est un peu un jeu d’hier et un peu un jeu de demain, mais pas tellement un jeu d’aujourd’hui. Dans les semaines précédant sa sortie, son éditeur a beaucoup mis en avant sa nouvelle interface contextuelle permettant une immersion plus forte que jamais, avec toujours plus de manières d’interagir avec l’univers. C’est vrai dans une certaine mesure mais, dans le détail, Red Dead Redemption 2 se révèle aussi un jeu d’une étonnante lourdeur dans lequel il n’est pas rare de faire tout à fait autre chose que ce que l’on voulait – d’abattre accidentellement son cheval, notamment. Le jeu regorge aussi de séquences “QTE” où une action plus ou moins arbitraire sur un stick ou une touche de la manette doit être effectuée pour que la séquence de jeu tourne à notre avantage, un peu comme dans les jeux pas toujours très aimés de David Cage (Beyond : Two Souls, Detroit : Become Human), disons, à propos desquels on pourrait probablement composer une variante du tweet de Mark Brown cité plus haut. Des choix qui tranchent avec l’attention au détail presque folle dont témoigne la représentation du monde de Red Dead Redemption 2, de la façon dont nos traces de pas s’inscrivent dans la neige à celle dont pousse la barbe de notre héros (moins vite que ce que la communication de Rockstar pouvait laisser supposer, cependant). Le contraste est étrange, un peu déstabilisant. Mais pas foncièrement déplaisant, encore une fois.

A l’époque de la sortie de GTA V, on reprochait ici-même à Rockstar Games d’avoir trop joué la sécurité. D’avoir offert à ses fans ce qu’ils attendaient : de l’action musclée, de la transgression prémâchée, un peu toujours la même chose, en fait. Cette fois, tel un évadé d’Animal Crossing, on traverse la campagne en saluant amicalement les gens – c’est une option des menus contextuels –, on s’badied pour regarder le paysage ou méditer comme dans Life is Strange, on vole au secours d’une femme agressée ou d’un type à la jambe coincée dans un piège à ours. On n’oublie pas, non plus, de revenir en arrière pour rambader notre chapeau quand on l’a malencontreusement fait tomber. On s’étonne, aussi, de découvrir la civilisation (les tramways, les Noirs réclamant le droit de vote…) en arrivant à “Saint-Denis”, capitale de la simili-Louisiane de RDR2. On aime badez, aussi, cette fois dans un saloon typiquement western, cette soirée gravement alcoolisée avec l’ami Lenny. Il y a beaucoup, beaucoup de moments comme ceux-là dans le jeu que l’on pourrait évoquer, tantôt “imposés” par les designers, tantôt découlant directement de notre trip perso. Entre les deux, il y a quelques heurts, de curieuses collisions, des frottements plus ou moins heureux. Red Dead Redemption 2 n’est pas le jeu que l’on attendait. Tant mieux.

Red Dead Redemption, Rockstar Games, sur PS4 et Xbox One, environ 60€

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