«Dans le porno amateur, la contrainte sexuelle des femmes fait partie du deal»



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Dans le milieu du bad amateur, les conditions de tournage peuvent être très difficiles pour les femmes, dont le consentement n’est pas toujours respecté. — SEL AHMET/SIPA
  • Le journaliste Robin D’Angelo signe l’ouvrage « Judy, Lola, Sofia et moi », un livre à paraître ce jeudi.
  • Il y raconte son immersion dans le milieu du bad « pro-am ».
  • Un milieu où les conditions de tournage sont difficiles pour les femmes, dont le consentement est fréquemment bafoué.

Il y a le fantasme, les images crues et explicites sur lesquels nombre d’individus vont fantasmer… Et se masturber, dans la pénombre, confortablement installé devant leur écran d’ordinateur, rouleau de Sopalin à portée de main. Et il y a la réalité : des conditions de tournage encore plus crues, qui peuvent tout aussi bien avoir pour décor un pavillon dans le Nord, un coin de forêt, un hangar glauque ou le salon d’un appartement d’un beau quartier parisien. Bienvenue dans le milieu du bad pro-am, un bad mi-professionnel mi-amateur sur lequel règne la société Jacquie & Michel, qui a engrangé pas moins de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017.

C’est ce milieu qu’a infiltré le journaliste Robin D’Angelo durant 18 mois, rencontrant petits et grands producteurs, actrices et acteurs, et jouant tour à tour les figurants ou les cadreurs. Une immersion qu’il raconte dans Judy, Lola, Sofia et moi* (éd. Goutte d’Or). Il y décrit un monde opaque, où contrats de travail et consentement sont la dernière préoccupation des producteurs, en quête de rentabilité maximale.

Pourquoi avoir voulu enquêter sur le milieu du bad « pro-am » et l’infiltrer ?

J’étais animé par une contradiction : je suis à la fois un consommateur occasionnel de bad mainstream, où des femmes se font dominer par des hommes, tout en étant un
pro féministe convaincu. J’ai voulu explorer cette contradiction, m’interroger sur ce qu’elle représentait.

Et je voulais m’intéresser à ces femmes que l’on voit dans ces vidéos, aux conditions de tournage dans lesquelles elles tournent ces films. Dans mon livre, je cite cette phrase de Virginie Despentes, tirée de son essai King Kong Théorie, qui écrit que
le bad se fait avec de la chair humaine, de la chair d’actrice et que la question morale que cela pose est de savoir comment sont traitées les femmes qui tournent dans ces films. Parce qu’on peut tout à fait lire des bouquins bads hard, avoir des fantasmes qui peuvent être violents, tout ça ne se pbade que dans notre tête. Mais le bad, lui, est incarné physiquement par ces femmes, c’est bien réel. Et les voir dans des scènes pro-am qui peuvent être trash, violentes, avec deux, trois, ou trente mecs, ça pose un certain nombre de questions.

Le bad « pro-am », c’est si amateur que ça ? Ou ça relève plutôt d’un genre, d’une image particulière ?

La frontière est poreuse entre le professionnel et l’amateur. L’amateur, c’est devenu un style, une image, un certain visuel. Les producteurs jouent sur les deux tableaux, tout comme les acteurs et actrices, qui peuvent jouer aussi bien dans des productions « amateurs » qu’aller dans les pays de l’est tourner dans des grosses productions.

On parle « d’amateur », mais ces contenus engrangent un nombre phénoménal de vues, génèrent beaucoup d’argent, et sont souvent faits par des producteurs professionnels. Mais on n’en sait peu sur l’envers du décor. On parle beaucoup de Jacquie & Michel, comme d’une petite entreprise marrante. Mais on est loin de la petite tambouille des débuts, de libertins qui se filment pour le fun. Ça, ce n’est que du marketing, parce qu’aujourd’hui, c’est une machine de vingt salariés qui affiche 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017. D’ailleurs Jacquie n’existe même pas, c’est pour entretenir l’idée que c’est un petit truc de couple.

Vous décrivez un milieu « pro-am » où clichés racistes sont largement véhiculés…

Le bad est un miroir grossissant de la société, il ne fait qu’érotiser les clichés racistes, qui représentent ici une niche commerciale comme une autre. Une niche qui porte un nom : le bade interracial, à la fois raciste et
badiste, qui met en scène des femmes blanches avec des hommes noirs, qui joue sur le cliché de la bestialité de l’homme noir, parce que c’est ça que recherche le spectateur. Sans complexes, un des producteurs que j’ai rencontré cantonne les acteurs noirs à des rôles de racaille, tout en étant antifa. Après, j’en ai rencontré d’autres qui se revendiquent d’extrême droite, qui sont anti-migrants et adhèrent aux thèses d’Alain Soral et de Dieudonné.

Ce n’est pas non plus un milieu féministe où les producteurs, souvent des professionnels, se soucient du droit du travail et du consentement des actrices…

Complètement, mais là encore, il y a un effet de loupe sur une société où les femmes sont objectivées pour leur badualité. Un producteur que j’ai rencontré, le pro-Soral, considère que le féminisme tue la séduction et qu’il n’est plus possible d’aborder une femme. Une vision qui se retrouve dans ses productions, dans lesquelles il tourne et se livre à des pratiques trash, souvent sans prévenir l’actrice.

La notion de consentement est très particulière dans le bad. La contrainte baduelle des femmes fait en quelque sorte partie du deal, les producteurs ne voient pas le problème et les filles l’intègrent en se disant qu’elles ne sont pas en position de dire non à une sodomie par exemple, par peur de ne plus être appelées pour de prochains tournages. A mon sens, cela explique pourquoi les actrices bad ne se sont pas emparées du phénomène #MeToo.

Quant au droit du travail, il est inexistant dans le bad pro-am. Un gros producteur m’a dit un jour : « le contrat de droit à l’image, je ne le donne jamais à la fille, sauf si elle le demande ». Ce qui fait que beaucoup d’actrices n’ont aucun papier relatif à leurs tournages. Et je ne parle même pas de contrat de travail ! Les producteurs les paient en cash et se dédouanent en disant que c’est aux filles de se déclarer en autoentrepreneuses, mais vu ce qu’elles gagnent, elles prennent l’argent et c’est tout.

Ce qui frappe à la lecture de votre ouvrage, c’est que les jeunes actrices que vous avez rencontrées ont toutes des parcours de vie cabossés, sont dans une grande fragilité financière et psychologique.

C’est vrai qu’elles ont eu des vies difficiles, elles ont pour la plupart connu des événements traumatisants dans leur enfance, subi des violences baduelles et viennent de milieux précaires. Quand on a une vie privilégiée, il est difficile de comprendre pourquoi ces femmes décident de faire du bad, de tourner des scènes violentes. Mais il faut comprendre que ces femmes refusent d’être pour autant considérées comme des victimes. Pour elles, le bad est soit un moyen de se faire de l’argent rapide, d’avoir une carrière, d’être socialement reconnue, d’avoir des fans, de rencontrer des gens. On peut ne pas les comprendre, mais on ne peut pas les blâmer de chercher à exister à travers le bad. Certaines ont été abusées baduellement par un de leurs parents durant leur enfance, et considèrent ensuite qu’il n’y a pas de mal à avoir des relations baduelles sans désir si elles en retirent quelque chose de positif, un statut social ou de l’argent. Pour elles, c’est normal, même si cette conduite est fondamentalement le résultat d’une souffrance liée à une mémoire traumatique, ce que la psychiatre Muriel Salmona qualifie d’ailleurs de « dissociation traumatique ».

D’ailleurs, si nombre d’acteurs tournent « pour le plaisir », le désir n’est pas du tout ce qui anime les actrices… Et acteurs et actrices ne sont pas considérés de la même manière, que ce soit dans le milieu ou la société.

Les hommes qui font du bad disent le faire pour « se vider les couilles », qu’ils y prennent du plaisir. Alors que pour une actrice, le plaisir est la dernière de ses préoccupations, elle subit une contrainte dans sa badualité, des pratiques dégradantes, physiquement douloureuses. Comme je le disais, une femme va faire du bad pour l’argent ou un statut social, mais elle en paie aussi le prix. Les femmes sont certes mieux payées que les hommes dans le bad, mais là où un mec va pbader pour un cador dans son quartier, la fille qui fait du bad sera traitée comme une moins que rien, sera insultée, harcelée. Et au final, elles ont en plus une carrière beaucoup plus courte que les hommes. Une fois qu’ils arrivent à se faire une place, les mecs peuvent rester quinze ans dans le milieu. Après avoir tourné des scènes de fellation, de sodomie et de gang bang, les femmes, elles, peuvent être ignorées du jour au lendemain par les producteurs six mois après leurs débuts dans le bad, parce qu’il faut toujours de nouveaux visages, de la « chair fraîche ».

Vous avez joué un mari trompé dans un film, fait le cadreur sur des tournages. Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous durant cette immersion ?

C’est l’un des derniers tournages auquel j’ai badisté et auquel je devais participer. Il s’agissait d’un bukkake, où des dizaines d’hommes cagoulés devaient éjaculer au visage d’une femme qui avait l’air complètement hagard. Et là, je me dis « c’est pas possible, il faut que je me barre ».

Est-ce que ce livre a changé votre rapport personnel au bad ?

C’est encore trop tôt, je manque de recul pour pouvoir badyser ça. Mais j’en reviens à ma contradiction de départ : on sait que c’est pas un milieu éthique, que les conditions de tournage ne sont pas terribles, mais les ressorts des fantasmes et du plaisir sont difficiles à contrôler, même face à la raison.

Je pense en revanche qu’il y a une réflexion collective à mener, une régulation à mettre en place en légiférant. Il ne s’agit pas d’interdire le bad, ni de faire l’autruche au seul motif que son accès est théoriquement interdit aux mineurs, tout ça est hypocrite et permet simplement aux politiques de ne pas s’emparer de la question. La conséquence, c’est que ces milieux deviennent des ghettos, des zones de non-droit. Il ne me semble pas incongru de réfléchir à un
statut légal de travailleur-se du bade et de réguler les conditions de tournage pour qu’elles soient plus saines et éthiques.

Judy, Lola, Sofia et moi, éditions Goutte d’Or, en librairie le 18 octobre, 17 euros.

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