« En Arabie saoudite, tout le monde a peur »



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Il y a trois ans, Rana Ahmad a fui son pays et sa famille. Cette Saoudienne de 32 ans devenue athée n’a eu d’autre choix : en Arabie saoudite, l’apostasie est pbadible de la peine de mort par décapitation. Aujourd’hui réfugiée en Allemagne, la jeune femme, militante des droits de l’homme, raconte son histoire dans Ici, les femmes ne rêvent pas (Éditions Globe). Un témoignage rare sur la vie en Arabie saoudite. Rana Ahmad badyse avec acuité l’affaire Jamal Khashoggi, journaliste saoudien vraisemblablement tué au consulat saoudien d’Istanbul, et la « modernisation autoritaire » engagée par le prince tout-puissant du royaume, Mohammed ben Salmane, dit MBS. Entretien.

Le Point : Selon vous, MBS est-il lié au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi ?

La Saoudienne Rana Ahmad a fui son pays pour l’Allemagne après avoir choisi l’athéisme.

© Armin Arefi

Rana Ahmad : Oui, cela ressemble à un acte commis par le gouvernement saoudien. Car on sait qu’il ne permet à personne de critiquer l’action du gouvernement. Et c’est justement ce que faisait Jamal dans les colonnes du Washington Post. Il écrivait qu’il valait mieux que l’exécutif fbade les choses comme ceci, et pas comme cela. Or, Mohammed ben Salmane, qui dépense énormément d’argent pour sa propagande dans les médias, souhaite liquider toute personne se permettant ce genre de critiques.

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Jamal Khashoggi était-il un opposant de la monarchie al-Saoud ?

Non, pas du tout. Il croyait dans ce gouvernement et espérait qu’il ferait quelque chose de bien pour le pays. Mais il ajoutait que MBS devait agir de telle manière plutôt que comme cela. Et Mohammed ben Salmane n’aime pas qu’on lui dise comment se comporter au sein du gouvernement.

Pourquoi le journaliste, qui écrivait à Washington, à des milliers de kilomètres de l’Arabie saoudite, représentait-il un problème pour le prince héritier ?

Parce qu’il écrivait dans un quotidien important, lu par des millions de lecteurs, et que cela n’allait pas dans le sens souhaité par MBS. Mais je ne suis pas une politologue. Je donne simplement mon opinion sur ce qui se pbade.

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Vous considérez-vous comme une opposante ?

Non. Dans toutes mes interviews, je ne parle pas du gouvernement saoudien, mais des problèmes relatifs aux droits de l’homme en Arabie saoudite, y compris le droit des femmes. Je n’ai rien de particulier contre ce gouvernement. Qui sait, peut-être améliorera-t-il d’ailleurs la condition des femmes à l’avenir. Mon souci est d’examiner la situation des hommes et des femmes, non seulement en Arabie saoudite, mais aussi dans l’ensemble du monde arabe.

Avez-vous peur après ce qui s’est produit au consulat saoudien d’Istanbul ?

Je pense qu’ils ne font pas attention à moi, car je ne me concentre pas sur MBS et l’action du gouvernement, mais sur les droits de l’homme. Ils n’ont pas vraiment peur de quelqu’un comme moi, d’autant que je suis une femme et athée, alors que la majorité des gens en Arabie saoudite sont musulmans. Si vous voulez toucher la population saoudienne, il faut être comme elle. C’est le cas, par exemple, d’Omar Abdulaziz, un militant saoudien qui vit au Canada. Lui est musulman et étudie la politique. Il publie souvent des vidéos dans lesquelles il explique pourquoi l’action du gouvernement n’est pas si parfaite. Il représente donc un danger pour l’exécutif. Il est menacé et a été d’ailleurs invité à se rendre à l’ambbadade d’Arabie saoudite au Canada. Mais il est malin et n’a pas fait confiance à ces gens.

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MBS n’a-t-il pas récemment procédé à l’arrestation de plusieurs militantes saoudiennes des droits de l’homme ?

C’était à l’intérieur du pays. Si vous êtes à l’étranger, je ne pense pas qu’il souhaite vous faire taire.

Mohammed ben Salmane est à l’origine de l’autorisation historique des Saoudiennes à conduire, saluée en Occident. Est-ce de la poudre aux yeux ?

Il a autorisé les femmes à conduire, et c’est quelque chose de merveilleux. Mais combien de femmes conduisent réellement aujourd’hui en Arabie saoudite ? Cette loi n’est pas un droit offert à toutes les Saoudiennes. Il donne la possibilité à votre famille de vous autoriser à conduire ou pas. Car, selon la loi saoudienne (dite du « tutorat », NDLR), les femmes ont besoin de la permission du père, du frère ou du mari pour conduire. (En réalité, la règle du « tutorat », l’obligation pour les Saoudiennes d’obtenir l’aval de leur « tuteur », s’applique aux études, aux démarches administratives et aux voyages à l’étranger. Pour la conduite des femmes, ce sont surtout les traditions conservatrices toujours en vigueur dans la société saoudienne qui l’empêchent, NDLR.) Ainsi, seules les femmes issues de familles riches ou libérales peuvent aujourd’hui conduire leur voiture. Or, elles sont peu nombreuses en Arabie saoudite, je dirais pas plus de 5 à 10 % des femmes. Et les plus petites villes du pays ne possèdent même pas d’école de conduite ! Les familles y sont très fondamentalistes. Si une femme demande à son père s’il peut lui accorder l’autorisation de conduire, celui-ci l’accusera d’être une traînée. Cette loi ne visait que les pays occidentaux. Maintenant, il y a des femmes qui conduisent en Arabie saoudite, et elles sont heureuses. Mais elles le font parce que leurs familles les y ont autorisées.

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Outre la conduite aux femmes, MBS a également autorisé la mixité dans les stades, ouvert des salles de cinéma et de concert…

Si je suis une femme en Arabie saoudite et que mon mari me frappe tout le temps, je ne peux pas appeler la police. Car, en raison du tutorat, la police doit ensuite appeler mon mari et lui demander si elle a la permission de venir chez nous. S’il refuse, alors, il peut continuer à me battre quand bon lui semble. De la même manière, si je suis abusée baduellement par mon père ou mon frère, je ne peux pas appeler la police et recevoir de l’aide. Que peuvent les cinémas ou les concerts contre ces problèmes fondamentaux ? Ces loisirs permettent en réalité au gouvernement de recevoir plus d’argent, car ils demeurent très chers en Arabie saoudite. Si la place vous coûtait 100 euros dans le monde arabe, elle serait à 1 000 euros à Riyad.

Mais n’est-ce pas là une première avancée ?

En effet, s’il s’agit de montrer au monde entier que quelqu’un est fantastique ou que vous souhaitez gagner plus d’argent, pas pour améliorer la situation des droits de l’homme.

Il se dit pourtant que Mohammed ben Salmane, un jeune prince de 33 ans, est très soutenu par sa population, notamment par la jeunesse (70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans, NDLR). Est-ce faux ?

C’était vrai quand il a débuté. Les gens l’adoraient, car il est jeune et que la population pensait vraiment qu’il allait révolutionner le pays. Mais cela a changé après qu’il a emprisonné de nombreux militants. Récemment, le gouvernement a adopté une nouvelle loi punissant de trois à cinq ans de prison l’auteur de toute critique écrite de son action. Aujourd’hui, tout le monde a peur en Arabie saoudite et doit se comporter comme s’il adorait MBS, même si ce n’est pas le cas.

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Dans « Ici, les femmes ne rêvent pas », Rana Ahmad raconte son histoire.

© DR

Rana Ahmad, Ici, les femmes ne rêvent pas, Éditions Globe. Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni.

280 pages, 22 €.

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