Bolsonaro, le populiste qui a su séduire les élites économiques



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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Élu ce dimanche président du Brésil, Jair Bolsonaro n’est pas un populiste comme les autres. Selon Christophe Ventura, ce candidat a fait se rencontrer un ras-le-bol populaire généralisé, et de puissants intérêts économiques qui se sont ralliés à sa vision ultralibérale.


Christophe Ventura est chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine.


FIGAROVOX.- Jair Bolsonaro a été élu ce dimanche à plus de 55 % des voix. Comment expliquer cette victoire?

Christophe VENTURA.- Les ressorts de cette élection ne sont pas neufs, car en réalité l’accession de Bolsonaro à la présidence du Brésil est la confirmation et la matérialisation d’une crise multiforme dont il exprime une des réponses possibles.

Cette crise est d’abord économique et sociale. Le Brésil est un pays où les clbades populaires n’ont cessé de voir leur niveau de vie se détériorer, et leur pouvoir d’achat s’effriter. Il y a une paupérisation, structurelle, de plus en plus mbadive, couplée à de très fortes inégalités: au Brésil, les 6 personnes les plus riches possèdent autant que les 100 millions les plus pauvres! C’est le pays le plus inégalitaire au monde.

À cela s’ajoute une crise démocratique, dont l’élection de Jair Bolsonaro n’est que le sous-produit. Depuis la destitution controversée de Dilma Rousseff à la suite du scandale Petrobras, à laquelle ont succédé deux années de règne d’un gouvernement non élu, la corruption est devenue l’un des motifs d’exaspération majeur des citoyens brésiliens. L’incarcération de l’ancien président Lula n’a, bien entendu, rien arrangé à l’affaire.

Enfin, il existe un troisième niveau de crise, qui consiste en un ras-le-bol généralisé face à la violence extrême qui règne dans le pays, et face à laquelle les élites semblent impuissantes. Ce sont ces trois degrés de crise qui constituent la soupe primitive dans laquelle a émergé phénomène Bolsonaro.

Vous semblez faire de cette élection une forme de «dégagisme» à la brésilienne. N’est-ce pas aussi une véritable révolution conservatrice, face aux dérives des gouvernements de gauche qui ont précédé?

Si, il y a aussi de cela. En réalité, Bolsonaro a réussi à faire se rencontrer en une seule et même candidature ces deux formes de colère: le ras-le-bol populaire, et d’autre part le mécontentement des principales forces économiques du pays. Il n’est pas le candidat de premier choix pour les pouvoirs économiques et financiers, mais ceux-ci ont fini par se détourner du candidat de la droite au pouvoir, Henrique Meirelles, voyant que celui-ci n’avait plus aucune chance de l’emporter.

Bolsonaro est l’incarnation d’un populisme à la fois conservateur et libéral.

Ils attendent de Bolsonaro qu’il renverse les réformes économiques menées par la gauche et limite l’étendue de l’action des pouvoirs publics, qui était un frein à l’expansion économique des grandes firmes brésiliennes. La gauche avait également mis en place d’importantes réformes pour préserver l’environnement face aux géants de l’agroalimentaire, notamment la filière bovine et les producteurs de soja. Ces puissants lobbies ont obtenu de Bolsonaro de nombreuses promesses en leur faveur.

N’est-ce pas paradoxal, alors que vous disiez que Bolsonaro était également porté par une poussée populaire?

Non justement, et c’est toute la force des populismes dits de droite, sous l’étiquette desquels nous pourrions ranger la candidature de Jair Bolsonaro. Il s’agit de reprendre à son compte une demande conservatrice sur le plan sociétal, qui lui vaut d’ailleurs l’appui mbadif des chrétiens évangéliques, et un sentiment très hostile à l’égard des migrants, tout en désignant comme premier bouc émissaire l’État lui-même. Celui-ci est pointé du doigt pour sa taille, et Bolsonaro propose donc de limiter son étendue au maximum, notamment par des coupes mbadives dans la fonction publique. Il réalise ainsi un redoutable alliage entre une composante conservatrice, et des positionnements ultralibéraux.

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En cela, Bolsonaro a plus à voir avec un Donald Trump ou un Rodrigo Duterte aux Philippines, avec qui il partage la promesse d’un nettoyage militarisé de la délinquance ainsi que la proposition d’armer les citoyens pour leur permettre de défendre leurs propriétés. La comparaison est moins valable avec Viktor Orban, encore que ce dernier, ainsi que le FPÖ en Autriche, se sont rangés du côté de la commission européenne face aux déboires récents de Salvini sur la question du budget italien. En tous les cas, Bolsonaro est l’incarnation d’un populisme à la fois conservateur et libéral.

N’en a-t-on pas, cependant, une vision biaisée, depuis la France où les médias ne tarissent pas de critiques à son endroit?

La presse française traite souvent les élections au Brésil avec les mêmes lunettes que toutes les autres «vagues populistes», pbadant à côté du phénomène plus profond qui est à l’œuvre au Brésil. On se trompe si l’on décrit Bolsonaro comme un fou, qui serait arrivé par hasard au pouvoir: en réalité, il a une vraie rationalité un projet parfaitement cohérent. Mais pour s’en rendre compte, il faut s’intéresser davantage aux questions économiques et sociales qu’aux sujets idéologiques tant prisés par nos médias.

À présent qu’il est élu, Jair Bolsonaro a devant lui d’importants chantiers, sur lesquels il a fait des promesses ambitieuses. Comment va-t-il s’y prendre?

Il est difficile de répondre à cette question pour le moment, mais le programme de Bolsonaro esquisse toutefois les pistes de ce que va être son action dans les prochains mois. Il considère, comme je l’ai dit, que l’État est trop lourd, et va probablement s’efforcer de réduire la bureaucratie partout où c’est possible, limitant ainsi l’intervention de l’État dans de nombreux domaines.

Bolsonaro accède au pouvoir dans un système politique plus fragmenté et complexe que jamais.

Face à la violence, les recettes qu’il propose sont déjà connues mais il tend à les radicaliser: il s’agit de militariser la lutte contre les trafics et la délinquance, et de permettre aux citoyens qui le souhaitent de posséder une arme. Dans un premier temps, cette politique aura sans doute une certaine efficacité et il pourra se targuer, statistiques à l’appui, d’avoir réduit la criminalité dans le pays. Mais ensuite, comme le montre hélas l’expérience mexicaine, les maffias se réarmeront plus lourdement et la violence explosera à nouveau: le résultat d’une telle politique est connu d’avance.

Toutefois Bolsonaro accède au pouvoir dans un système politique plus fragmenté et complexe que jamais. Il n’y a pas moins de trente partis représentés au Congrès, et le PT, auquel appartient Fernando Haddad qui était au second tour contre Bolsonaro, reste le parti le plus représenté. Le nouveau président va donc chercher à s’allier avec des petits partis d’opposition, notamment les sociaux-démocrates du PSDM et les démocrates du DEM. Ces deux partis ont gouverné depuis 2016 au côté de Michel Temer.

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Par ailleurs, Bolsonaro va devoir composer avec une société dont 45 % des électeurs sont a priori contre lui, et face à un mouvement populaire qui lui est très hostile et qui a réuni des millions de manifestants dans les rues pour «défendre la démocratie». Que va devenir cette opposition?

Il faudra aussi surveiller les rapports que Bolsonaro va entretenir avec les marchés et les différents lobbies qui l’ont soutenu, en partie pour sa proximité avec Paulo Guedes, un économiste ultralibéral qui sera son ministre de l’économie. Du reste, le soutien de l’armée ne lui est pas encore totalement acquis.

Faut-il enfin s’attendre à ce que le positionnement géopolitique du Brésil change à la suite de cette élection?

Oui. Le Brésil de Bolsonaro va chercher à se réaligner du côté des États-Unis, ceci afin de contenir la montée en puissance de la Chine dans la région, alors même que le Brésil est aujourd’hui le premier partenaire commercial des Chinois. Là encore, reste à voir comment le président nouvellement élu va réussir à se défaire des investisseurs chinois, tout en changeant le modèle économique du pays et en ramenant de la croissance.



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