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«En choisissant de défendre Asia Bibi, je savais que je devrais un jour quitter mon pays pour des raisons de sécurité. Mais je ne pensais pas que ce serait sans elle», confie depuis les Pays-Bas son avocat, Saif Ul Malook. Menacé de mort, il a dû s’exiler, samedi, sous la pression des diplomates étrangers.
Depuis une semaine, le cas de cette paysanne illettrée, condamnée à mort en 2010 pour blasphème, enflamme de nouveau le Pakistan. Asia Bibi, chrétienne alors âgée d’environ 40 ans et mère de deux enfants, avait été accusée par ses voisines d’avoir souillé l’eau d’un puits en buvant un verre. Les villageoises lui ont ensuite reproché d’avoir insulté le prophète Mahomet, une offense considérée au Pakistan comme le crime ultime et punie de mort au nom des «lois antiblasphème».
Héritées de la colonisation britannique, ces lois, réactivées et durcies dans les années 80 par le dictateur Zia-ul-Haq, sont devenues une arme fatale pour les islamistes, pour qui toute personne défendant un suspect de blasphème mérite elle-même châtiment. Pour Saif Ul Malook, «le problème, ce ne sont pas ces lois, mais leur détournement à des fins personnelles».
Après des années de procédures, la Cour suprême, la plus haute instance pakistanaise, a rendu mercredi 31 octobre son verdict dans l’affaire Asia Bibi, concluant à un «dossier vide» et à des «fausses accusations». Anne-Isabelle Tollet, qui était en 2010 cheffe de bureau à Islamabad pour France 2 et France 24 et pigiste pour Libération, avait pris fait et cause pour la paysanne envoyée dans le couloir de la mort et fait connaître son cas dans le monde entier.
«Toute l’histoire est partie d’un contentieux avec la première femme de son époux qui n’avait jamais admis son remariage, explique la journaliste, auteure de La mort n’est pas une solution (2015, éd. du Rocher). L’histoire d’Asia Bibi permettait d’incarner les ravages que font ces lois antiblasphème qui maintiennent dans la terreur la société civile pakistanaise. Son cas est devenu une affaire d’Etat en 2011 quand le gouverneur du Penjab, Salman Taseer, qui avait pris sa défense, a été badbadiné par son garde du corps.» Quelques mois plus tard, le ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, était tué à son tour.
«Un outil de discrimination des minorités»
Les accusations de blasphème sont courantes au Pakistan et touchent en majorité des musulmans, notamment chiites. Mais comme le fait remarquer à Libération Wilson Chowdhry, président de l’badociation de défense des chrétiens pakistanais de Grande-Bretagne, «elles sont aussi utilisées comme un outil de discrimination des citoyens les plus vulnérables, puisque 15 % des procès sont intentés contre des chrétiens, qui ne représentent que 1,3 % de la population. Tant que les manuels scolaires continueront à nourrir la haine des minorités, cette mentalité n’évoluera pas.»
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Dès 2010, les talibans pakistanais prévenaient que si Asia Bibi était acquittée, «elle serait tuée». Le verdict de la Cour suprême, qui stipule que ceux qui accusent à tort quelqu’un de blasphème pourront désormais être poursuivis, a mis le feu aux poudres. «Les juges ont établi de nouvelles règles en matière de preuves dans ces affaires. C’est une avancée positive pour l’avenir», se félicite Saif Ul Malook.
Un petit parti d’obédience soufie et ultraviolent, le Tehreek-e-Labaik, a appelé à bloquer le pays. Rejoint par des foules convaincues que l’honneur du prophète était en jeu, les manifestants ont paralysé les autoroutes et les grandes villes, plongeant le Pakistan dans le chaos pendant trois jours, les réseaux téléphoniques coupés, sans que la puissante armée n’intervienne.
Le Premier ministre Imran Khan, élu cet été, qui avait pourtant appelé, dans un discours télévisé historique, à respecter le verdict et à ne pas écouter «ceux qui ne rendent pas service à l’islam» pour des «raisons politiques», a dû céder samedi. Un accord a été pbadé avec les islamistes. Le gouvernement a commencé à libérer des prisonniers du Tehreek-e-Labaik, s’est engagé à ne pas s’opposer à un recours contre la décision de la Cour suprême et à laisser la justice étudier une éventuelle interdiction de sortie du territoire d’Asia Bibi.
L’accord, qualifié de «mascarade» par la Commission des droits humains pakistanaise, et critiqué jusqu’au sein du gouvernement, a ramené un calme relatif. Des procédures judiciaires sont lancées pour remettre en prison les prisonniers libérés, et les islamistes menacent de retourner dans la rue. Le mari d’Asia Bibi, qui se trouve toujours au Pakistan, a demandé l’asile à l’étranger pour sa famille, menacée de mort. Pour l’heure, sa femme reste en prison, où elle est le plus en sécurité. Mardi soir, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé que la capitale était prête à les accueillir. «Quand je l’ai vue pour la dernière fois, le 10 octobre, Asia Bibi était très forte, mentalement et physiquement, raconte son avocat. Sa famille va bien, elle attend de pouvoir enfin mieux vivre en Occident.»
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Laurence Defranoux
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