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CRITIQUE – Dans l’enfer des tranchées, un Sénégalais qui a vu son ami d’enfance mourir sous ses yeux se transforme en machine à tuer. Avec son style oral, naïf, le roman de l’écrivain franco-sénégalais envoûte plus sûrement qu’un clbadique roman de guerre.
Grand favori des prix littéraires cette saison, il figurait sur toutes les dernières listes importantes, David Diop a finalement reçu jeudi le Goncourt des Lycéens 2018 pour son roman Frère d’âme, publié au Seuil le 16 août 2018.
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Le personnage principal et narrateur de son romana pour nom Alfa Ndiaye. Lorsque son récit débute, il a déjà vécu l’enfer sur la «terre de personne». Sa vie a basculé le jour où Mademba Dop, son «plus que frère», son «ami d’enfance» est mort sous ses yeux, hurlant de douleur, éventré par la baïonnette d’un «ennemi d’en face aux yeux bleus». Au nom de leur amitié, de leur jeunesse sénégalaise à Gandiol, Mademba l’a supplié de l’achever, de mettre fin à sa terrible souffrance mais Alfa Diaye a refusé: «J’ai pensé à mon vieux père, à ma mère, à la voix intérieure qui ordonne, et je n’ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n’ai pas été humain avec Mademba, mon plus que frère, mon ami d’enfance.»
Vengeance et férocité
À partir de là, le soldat Ndiaye ne sera plus que vengeance et férocité. Au péril de sa vie, la nuit tombée, il se glissera dans le camp adverse, sans bruit, couvert de boue, attendra sa proie, la ligotera, lui ouvrira le ventre et l’égorgera. Puis il regagnera sa tranchée qui lui apparaîtra tout à coup «comme les deux lèvres entrouvertes du bade d’une femme immense. Une femme ouverte, offerte à la guerre, aux obus et à nous, les soldats». Dans ses mains, deux trophées, le fusil de l’ennemi et la main qui tenait le fusil. Au début, ses copains «Toubabs et les Chocolats» salueront ses exploits, son courage. Puis, lorsque sa moisson de mains tranchées commencera à grossir, ils s’inquiéteront, s’écarteront peu à peu de lui, persuadés d’avoir affaire à un sorcier, un «dévoreur du dedans des gens, un dëmm». Bientôt, son capitaine ne pourra plus couvrir ses agissements (couper des mains, «ce n’est pas réglementaire») et l’enverra se faire soigner à l’arrière.
C’est là qu’Alfa Ndiaye racontera les horreurs de la guerre, la sauvagerie. Il dira aussi l’enfance au Sénégal et cette partie du récit sera moins ténèbres que lumière. Il racontera sa mère peule et Fary Thiam, la fille à «la voix douce comme les clapotis du fleuve sillonné par les pirogues les matins de pêche silencieuse». Il dira ses fesses «aussi rebondies que les dunes du désert de Lampoul».
Avec son style oral, naïf, ses expressions répétées comme un mantra, le roman de Diop envoûte plus sûrement qu’un clbadique roman sur la guerre. Il est original car il donne la voix à ceux qu’on a peu entendus, ces Africains recrutés pour leur courage et leur capacité à terrifier l’ennemi.
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Alfa Diaye est un danger pour la troupe: il est celui qui a ouvert les yeux, qui a compris les mensonges des mots. Celui qui a eu tort de se vouloir guerrier solitaire dans la gueule du monstre.
«Frère d’âme», de David Diop, Éditions du Seuil, 176 pages, 17 €.
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