[ad_1]
Hulk, Iron Man et de nombreux autres super héros sont désormais orphelins. Le scénariste et éditeur de comics américain Stan Lee est mort le lundi 12 novembre, dans une clinique de Los Angeles, selon les déclarations d’un avocat de la famille à l’agence AP, confirmant une information du site TMZ. Stan Lee avait 95 ans.
Sa signature et son visage souriant, lunettes d’aviateur chaussées au-dessus de son épaisse moustache, sont à tout jamais liés à l’aventure économique et artistique de Marvel Comics, le géant de l’édition de pulps et bandes dessinées américaines. Filou opportuniste pour ses détracteurs, génie goguenard pour d’autres, Stan Lee pouvait revendiquer des droits de paternité sur une importante partie des 5 000 héros du catalogue Marvel.
Avec les dessinateurs Jack Kirby ou encore Steve Ditko, « Stan The Man », comme il se faisait parfois appeler, a créé de façon industrielle une pléiade de super-héros. Il est aussi reconnu pour avoir fait de la bande dessinée américaine un registre artistique pas seulement réservé aux plus jeunes. « Je ne rêvais pas de faire des comics étant enfant. Je voulais être acteur. Mon premier héros était Errol Flynn », affirmait Stan Lee aux prémices du documentaire entièrement à sa gloire With Great Power : The Stan Lee Story, sorti en 2010.
Affaibli depuis quelques années et ébranlé par la mort de sa femme Joan, au seuil de leur soixante-dix ans de mariage en juillet 2017, la star de Marvel continuait d’apparaître régulièrement en public.
Homme à tout faire
Né le 28 décembre 1922 à New York dans une famille d’immigrés juifs roumains, Stanley Martin Lieber de son vrai nom grandit dans le quartier de Washington Heights durant la Grande dépression. D’origine très modeste, le jeune Lieber enchaîne les petits boulots à côté de ses études à la DeWitt Clinton High School, une université du Bronx, pour aider le foyer.
Avec l’appui de son oncle Robbie Solomon, Lee postule chez Timely, un éditeur de « pulps », des magazines de fiction bon marché, puis de « comic books », qui deviendra Marvel Comics au début des années 1960. Martin Goodman, son patron, n’est autre qu’un cousin par alliance de Stanley. Il l’embauche en 1940 comme badistant et homme à tout faire. Il n’a pas encore 18 ans. Bavard et persévérant, le jeune Stanley se retrouve vite dans le giron de Joe Simon et Jack Kirby, les dessinateurs vedettes de Timely. Lieber porte les cafés, amène les sandwichs, mais déjà gomme ou relit les planches.
La première contribution écrite de Stanley Lieber est une double page de texte rédigée en 1941 dans Captain America, le héros patriote créé par Simon et Kirby. A l’époque, les « comics » comportent deux pages rédigées pour bénéficier d’un tarif postal préférentiel, mais les auteurs n’avaient aucun problème à en déléguer la rédaction, persuadés qu’elles n’étaient pas lues.
Très vite, le jeune rédacteur abandonne son nom pour le pseudonyme Stan Lee, directement dérivé de celui-ci. « Je réservais Stanley Martin Lieber pour le grand roman que je n’ai jamais écrit », expliquait-il dans le documentaire With Great Power : The Stan Lee Story. Travailleur frénétique, Stan Lee rédige des scripts à la chaîne pour des séries dessinées, sous différents pseudonymes, laissant croire que Timely emploie un grand nombre de scénaristes.
Rédacteur en chef à 20 ans
Lorsque, à la suite d’un désaccord sur leur rémunération avec Martin Goodman, le patron de Timely, Joe Simon et Jack Kirby partent à la concurrence, Stan Lee devient rédacteur en chef. Il a 20 ans et supervise la rédaction des « comics », façonne les dialogues, écrit les nouvelles histoires de Captain America et se lance dans les BD humoristiques. Avant de s’engager dans l’armée en octobre 1942 et de rejoindre le Signal Corp, le service de communication militaire. A la fin de la seconde guerre mondiale, Stan Lee reprend ses fonctions de rédacteur en chef à Timely qui s’est installée dans le prestigieux Empire State Building. Il occupera le poste pendant presque trente ans, de loin le record dans le « Bullpen », surnom donné à la rédaction de Marvel.
Dans les années 1950, alors que les comics sont accusés de favoriser la délinquance juvénile, les ventes de BD de super-héros sont en berne. Timely, devenu Atlas, essaie également d’affronter une crise dans sa structure de distribution de numéros. Stan Lee enchaîne alors des scripts policés pour des « comics » en tout genre : romantique, aventures humoristiques pour adolescentes, western, science-fiction en se consacrant aux titres les plus vendeurs.
A la fin de la décennie, le scénariste est las et songe à démissionner après vingt ans de métier. Il est l’un des derniers salariés à plein temps de Martin Goodman.
La machine relancée
A la même époque, le numéro un dans l’édition de comics, DC, relance avec grand succès le genre avec la Justice League of America. Les aventures d’une alliance emmenée par Wonder Woman et Flash se hissent en tête des ventes américaines. Goodman, qui veut profiter du regain, somme Stan Lee de mettre sur pied leur propre équipe de « super vengeurs ».
Avec les encouragements de sa femme Joan, ancienne mannequin et actrice anglaise qu’il a épousée en 1946, Lee se penche sur une histoire de bande dessinée qui lui convient absolument, plus adulte, en rupture avec les habitudes narratives clbadiques. Epaulé au dessin par le talentueux Kirby – il a fait revenir celui-ci en 1958 – Stan Lee accouche du premier numéro des Fantastic Four en 1961. Le succès n’est pas immédiat mais solide ; les Quatre fantastiques sera la plus longue série éditée par Marvel jusqu’en 2011.
Dans la foulée, Lee et Kirby relancent la machine Marvel en imaginant plus de super-héros que quiconque : Hulk (1962), Thor (1962), X-Men (1963), Avengers (1963). Avec les dessinateurs Steve Ditko, Don Heck ou encore Bill Everett, il donnera naissance à d’autres surhommes désormais pbadés à la postérité : Iron Man (1963), Daredevil (1964) ou Spider-Man(1962). Autant de noms qui symbolisent cette période dite de l’« âge d’argent » des « comics ».
Surhommes plus humains
Bien plus qu’une mitraillette à idées, Stan Lee rénove le genre héroïque en appliquant sa recette des Fantastic four aux créations suivantes. Jusqu’en 1961, les personnages manquaient de vie et de chair. Lee insuffle de la psychologie et de l’humanité à ses protagonistes armés de pouvoirs spéciaux. A l’instar des Quatre fantastiques, les super-héros des années 1960 sont de grandes gueules, faillibles, détestant parfois leurs aptitudes. Ainsi, Hulk ou la Chose se considèrent-ils comme des monstres ; Iron Man a des problèmes avec l’alcool. Bien qu’ayant droit chacun à leur propre publication, nombre de héros partagent des aventures et se côtoient dans le même univers, la plupart du temps à New York.
Alors que la Comic Code Authority américaine censurait toute aspérité et toute revendication dans les cases des bandes dessinées, Stan Lee s’empare et s’amuse des thématiques et représentations sociales de l’époque. L’accident qui transforme Bruce Banner le physicien nucléaire en Hulk permet de rebondir sur la question de la menace atomique. Les déboires du jeune Peter Parker (Spider-Man) abordent les doutes adolescents, cœur de cible de Marvel. En 1966, en pleine bataille pour les droits civiques, Lee donne vie à Black Panther, le premier super-héros non seulement noir, mais Africain. Avec Iron Man, il provoque la sympathie pour le décrié complexe militaro-industriel. Dans les scripts des X-Men, il détricote tout le registre de la ségrégation, la différence, l’exclusion.
Artisan de sa propre légende
« Véritable Monsieur Loyal du grand cirque Marvel, Stan Lee en organise la succession et la chorégraphie des principaux numéros, annonçant sur la piste les auteurs les plus en vue et s’adressant continuellement au public », écrit Jean-Marc Lainé dans sa biographie Stan Lee, Homère du XXe siècle (2013, Moutons électriques). Car à la création éditoriale, Stan Lee ajoute à ses activités les produits dérivés, le courrier des lecteurs, la création d’un fan club pour entretenir une complicité avec le public.
C’est la folle époque du « Bullpen ». Alors qu’une dizaine d’années auparavant le métier d’auteur de « comics » était dédaigné, Stan Lee fait sortir de l’ombre ses auteurs en les mettant en scène dans les magazines, cite tous les noms sur les crédits des planches dessinées, sans oublier de se mentionner. Même quand il ne tient plus le crayon, le label « Stan Lee presents » s’impose systématiquement sur l’ensemble du catalogue.
Ce culte de la personnalité, mais aussi les profits juteux dégagés par Marvel, écornent la bonne ambiance de façade. Employés et auteurs réclament des augmentations, un meilleur partage des bénéfices mais aussi plus de reconnaissance dans la paternité des héros dessinés. De grosses tensions naissent ou ressurgissent entre Lee, Kirby et Ditko.
Car, en tant que scénariste, Stan Lee doit écrire les histoires. Mais, il préfère très tôt déléguer la rédaction des histoires pour se réserver la seule écriture des dialogues. « Je me contentais de mettre des mots dans des bulles même si j’avais l’idée originale », expliquait-il. Puis, il abandonne peu à peu la gestion éditoriale des revues. Il confie ses personnages à ses seconds, comme Roy Thomas (Avengers) ou Len Wein (Thor, Spider-Man). Tournées des universités américaines, relations avec la presse, il délaisse le papier et se consacre dès 1972 à représenter Marvel à l’extérieur.
A la même époque, il quitte New York pour Los Angeles et se charge de superviser plusieurs adaptations télévisées de ses super-héros, telles que les séries Spider-Man ou L’Incroyable Hulk. Il intervient ainsi sur une quinzaine de projets de films, dessins animés, séries transposant les héros Marvel à l’écran. Ceux-ci se concrétisent difficilement.
Indépendance et crédibilité
La faillite économique et artistique de Marvel, due à une exploitation outrancière des collections et à une spéculation sur le marché du « comics », dans le courant des années 1990, conduit l’entreprise Toy Biz à racheter la maison d’édition. Le contrat de Stan Lee est renégocié. Celui-ci pbade un accord avec Ike Perlmutter et Avi Arad, deux entrepreneurs israéliens devenus les patrons. Il devient président honoraire à vie, conserve un titre de producteur exécutif sur les films adaptés de ses personnages et surtout est libéré de l’exclusivité. Stan Lee peut dès lors travailler pour d’autres éditeurs comme DC Comics, principal concurrent de Marvel.
Cette indépendance soudaine ne laisse pas Lee désemparé. En 1998, il fonde « Stan Lee Media » pour la création d‘œuvres sur Internet et notamment la diffusion en ligne d’un nouvel univers de super-héros. L’entreprise fait faillite deux ans plus tard et des dirigeants sont inculpés pour malversations. Qu’à cela ne tienne, Stan Lee, innocenté, fonde dans la foulée en 2001 « Pow! Entertainment », une société de production qui développe des projets pour la télévision et le cinéma. Il produira notamment des films en collaboration avec Disney.
Même si Lee a su rester très actif, les derniers temps ne lui sont pas propices. « Depuis une dizaine d’années, les commentateurs, les historiens et la communauté des fans révisent leur jugement, écrit Jean-Marc Lainé, De plus en plus nombreux, ils affirment que Stan Lee est un rusé renard dont le seul talent consiste à savoir tirer le meilleur du talent des autres. » Consensuel dans ses propos publics, Stan Lee a parfois eu tendance à construire sa légende et celle de la maison d’édition à renfort de souvenirs enjolivés et partiels.
Regain de popularité
La sortie de films médiocres adaptés de ses créations renforcent le sentiment d’esbrouffe. Au début des années 2000, la tendance s’inverse sous l’impulsion notamment de Avi Arad ; plusieurs long-métrages de super-héros sortis du catalogue Marvel enchantent le box-office comme les lecteurs de « comics », à l’instar de X-Men, de Bryan Singer. « Stan The Man » est invité à figurer dans le film, un caméo à la manière d’Hitchbad. Un plaisir gourmand qu’il renouvellera systématiquement.
Ambbadadeur infatigable et attiré par le feu des projecteurs, il tâche de faire sensation sur les tapis rouges lors des avant-premières, déplace les foules aux différentes conventions de fans. Un rôle de consultant et de producteur exécutif sur les tournages et la réalisation de dessins animés l’occupent depuis 1992. Son retour en grâce et sa popularité croissent à mesure que les succès s’enchaînent. En janvier 2011, à 88 ans, il obtient son étoile sur le Hollywood Walk of Fame.
Stan Lee n’a jamais fait de pause sur une carrière de plus de soixante-dix ans. En conclusion du documentaire With Great Power : The Stan Lee Story, il déclarait : « Retraite est un vilain mot, elle serait une punition puisque je fais déjà ce que j’aime… Je voudrais juste avoir plus de temps. »
Stan Lee en 5 dates
28 décembre 1922 : Naissance à New York
1940 : Entre chez l’éditeur Timely qui deviendra Marvel Comics au début des années 1960
1961 : Créé les « Quatre Fantastiques »
2000 : Participe à l’adaptation au cinéma de nombreux héros du catalogue Marvel
12 novembre 2018 : Mort à 95 ans
Pauline Croquet
Source link