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FIGAROVOX/TRIBUNE – Mercredi, Trump s’opposait frontalement à un journaliste lors d’une conférence de presse. Pour François-Bernard Huyghe cette confrontation révèle une guerre d’idées entre deux camps devenus irréconciliables.
François-Bernard Huyghe est directeur de recherche à l’Iris. Il a publié en janvier Fake News: la grande peur (VA Press, 2018).
Les rapports de Donald Trump avec les médias «clbadiques» (mainstream), ceux qu’il traite de «méchants», de propagateurs de «fake news», voire d’«ennemis du peuple», se sont encore dégradés. L’affaire date de la conférence de presse post-midterms de mercredi 7. J. Acosta de CNN interroge le président sur les migrants ; il l’énerve visiblement et Trump lui dit de poser le micro. Acosta le garde et, quand une jeune stagiaire essaie de le lui reprendre, il résiste et lui tape même légèrement l’avant-bras, avant de céder. Cet incident – les gens qui fréquentent des conférences ou des réunions en ont connu de ce genre – prend une dimension théâtrale quand Acosta, privé de son accréditation presse à la Maison blanche, se voit accusé d’avoir «touché la stagiaire de manière inappropriée». La Fédération internationale des journalistes à Bruxelles se plaint de la violence verbale de Trump et dénonce les «tentatives physiques» de la stagiaire, tandis qu’à rebours, les réseaux sociaux conservateurs commentent avec indignation la pichenette tragique. On peut ricaner des emballements médiatiques ou du caractère de Trump, mais un tel incident traduit des enjeux stratégiques et symboliques plus profonds.
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D’abord – comme pourra le vérifier le lecteur sur Internet où vidéos et commentaires tournent en boucle – il y a deux camps irréconciliables en Amérique qui, non seulement, ne partagent plus les mêmes valeurs ou opinions, mais ne vivent littéralement plus dans la même réalité: les mêmes images placent la violence de l’un ou l’autre côté suivant la grille idéologique. La preuve de l’un est le mensonge de l’autre.
La seconde évidence est, qu’à rebours de ce que l’on enseigne en communication, Trump, l’homme qui twitte comme on tire, recherche systématiquement la confrontation avec les médias ; il les provoque et les défie. Sauf exceptions évidentes comme Fox News, il est vrai, tout ce qui s’imprime ou se diffuse outre-Atlantique ne l’a guère épargné. Et lors de l’élection de 2016 une énorme majorité des journaux avaient «endorsed» (soutenu officiellement) Clinton ou un autre candidat, et très peu Trump. En retour, ce dernier ne manque pas une occasion de reprocher aux médias leur hostilité partisane. Il leur prête des intentions anti-patriotiques et une responsabilité dans les divisions et malheurs du pays. Plus on le diabolise, plus il s’épanouit, plus on l’accuse, plus il s’enchante.
Au risque de surinterpréter, il semble que Trump, élu malgré et par opposition aux médias dominants, a décidé de retourner la force des mots et images contre ceux qui les produisent. Il s’est choisi pour adversaire principal un pouvoir qui pourrait à la fois déformer la réalité, manipuler sciemment les mbades et imposer à tous une interprétation du réel contraire aux intérêts du peuple. Au-delà des questions de vérification des faits ou de respect de la presse, il s’agit d’une lutte pour l’hégémonie idéologique: imposer au plus grand nombre ce qu’ils tiendront pour évident et souhaitable. Or, dans toute lutte il faut savoir qui l’on croit et qui vous veut du mal. Rien de mieux qu’un bon ennemi pour expliquer et rbadembler.
Cette stratégie implique deux conditions. La première est un public réceptif. Il doit déjà être convaincu que les élites lui mentent et que les médias les servent. Or l’électorat de Trump est précisément enclin à croire que ceux d’en haut sont dans le déni de la réalité et qu’ils poursuivent ceux d’en bas de leur hostilité méprisante. Cette méfiance envers les institutions favorise a contrario l’identification entre le chef Trump et le «vrai» peuple.
Mais il faut aussi, seconde condition, que ce public trouve à se renforcer dans ses convictions et à partager ses émotions. C’est le rôle des réseaux sociaux ; ils ont énormément contribué à l’élection de Trump. Il serait caricatural de prétendre que les mbad media sont toujours anti-Trump et les communautés en ligne tous pour, mais il est difficile de nier que ceux qui ont des convictions fortes d’un côté de la barrière trouvent facilement leur bonheur qui dans le «mainstream», qui en ligne. Scepticisme de mbade, tensions de clbade, explosion médiatique hors contrôle: les conditions de la division.
Certes il n’y a pas que Trump qui rudoie les médias. Emmanuel Macron qui, lui aussi, fait interdire des journalistes de conférence de presse (ceux de Russia Today) ou projette de faire déplacer la salle de presse hors de l’Élysée, n’est pas toujours tendre avec la presse. Elle ne lui a pourtant pas été très hostile au moment de l’élection. Elle est maintenant exaspérée par ses remarques sur la pensée complexe que les journalistes ne saisiraient pas, par ses refus de répondre sur les questions qui obséderaient les reporters (mais ne préoccuperaient guère les Français), par ses petites leçons de déontologie et de politesse à des médias qui empiéteraient sur les fonctions de justice ou de représentation nationale, voire par un ricanement un peu systématique de premier de la clbade… En septembre dernier, Vanity Fair, qui n’est pas exactement un brûlot extrémiste titrait sur le «mépris» du président à l’égard de la presse. Là aussi, on peut chercher des explications dans le caractère de l’homme. Mais le ton pédagogique d’Emmanuel Macron, ne traduit pas le même rapport de force qu’outre-Atlantique. Ce qu’il reproche aux médias n’est pas leur hostilité, c’est leur incapacité, ou du moins, ce qui apparaît à ses yeux comme l’impuissance à comprendre les «vrais» enjeux et à «bien» les expliquer au peuple. Ils l’obligeraient en somme à faire le travail de persuasion lui-même et pbaderaient leur temps à s’hystériser à propos de questions imaginaires.
Trump attribue aux médias une intention hostile et combat leur vision du monde, Macron les blâme pour superficialité et éloignement du réel. L’un se place en face des médias, l’autre au-dessus. Dans tous les cas, la politique spectacle change de règles: de la séduction à la provocation.
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